Une aventure humaine avant tout
Plus qu'un voyage, notre séjour au Sénégal aura été une rencontre. Rencontre avec un pays, rencontre avec un peuple. Une expérience humaine avant tout, incroyablement dense sur le plan émotionnel, et le retour à la réalité est un peu douloureux. L'impression d'avoir laissé derrière soi un chantier en cours, un chantier humain, avec tellement de choses à vivre encore, tellement de choses à faire ou à dire, que je ne peux empêcher un sentiment de frustration m'envahir. Je suis triste en fait. Ce voyage aura été une fulgurance, un rai de lumière aveuglant trop tôt éteint. J'aurais voulu poursuivre le chemin, celui de la fraternité, celui du partage. Qu'avais-je à vivre avec Amadou, Max et Mbaye ? Une histoire peut-être, peut-être rien. Cela aussi est difficile. N'avons-nous vécu durant ces quelques jours que dans l'illusion d'un rêve, n'avons-nous avancé que dans la réalité brumeuse d'une histoire tronquée dès le départ ? Aveuglés par une chaleur si intense que nous l'avons prise pour la réalité ? Peut-être n'étions nous finalement que des gens de passage, vite adoptés et vite oubliés. Cela est possible et je le sais, mais cette possibilité me coûte. Est-il concevable d'avoir vécu si intensément chaque instant de la rencontre avec l'autre sans qu'il en reste aucune trace ? Là réside la grande interrogation de ce voyage: quel degré de sincérité doit-on accorder à toute cette expérience ?
Ici, le rapport entre blanc et noir, entre riche et pauvre semble jeter un voile de suspicion constant sur tous les échanges. Le Sénégal, c'est la Terenga, la Terre d'hospitalité, et de fait ses habitants sont d'une chaleur et d'une gentillesse surprenantes. Mais on est sans cesse à se demander dans quelle mesure cet accueil n'est pas surjoué, exubérant davantage par nécessité que par générosité. On ne peut s'empêcher d'y penser, tant cette humanité et cette spontanéité dans la création du lien nous paraissent de l'ordre de l'impossible à nous autres occidentaux. Tant de gentillesse, cela cache forcément quelque chose, un intérêt. Le sourire aux lèvres, la main tendue en signe d'amitié, et aussi toujours quelque chose à proposer, à vendre. C'est certainement sur ces bases-là qu'a débuté notre relation avec nos trois guides d'un jour. Mais après ? Il est des choses que l'on sent, que l'on respire et qui entrent en nous, un lien invisible qui se tisse imperceptiblement et dont on sent si fort la présence que son existence ne semble faire aucun doute. Est-il donc possible de se tromper à ce point sur la nature de nos relations ? Et ces villageois à qui nous avons rendu visite, ces êtres d'un autre âge avec qui nous avons passé un moment si fort, ont-ils dansé avec nous uniquement en remerciement d'un sac de riz acheté à l'épicerie ? Et s'il est possible de lire dans les yeux d'une femme autant de reconnaissance en lui passant simplement autour du cou un collier aux multiples couleurs, sans que cette émotion ne porte en elle la moindre trace de sincérité, alors c'est à désespérer de tout, à commencer par l'Homme.
Non, cela n'est pas possible. Ce qui induit toutes ces questions, c'est peut-être simplement la peur d'être déçu, cette chaleur inhabituelle pour nous qui nous réchauffe mais qu'on a peur de découvrir factice. Le plus simple certainement reste encore de s'en remettre à notre perception immédiate de la vie, de faire confiance à cette sorte d'instinct qui nous pousse vers certaines personnes et nous éloigne d'autres. Ne garder en soi que la beauté de la rencontre, et le souvenir d'un peuple merveilleux, toujours prompt à vous parler de son pays, à vous le faire visiter. Et malgré cette relation d'argent inévitable et latente qui unit le touriste à l'autochtone, se souvenir qu'il est un lieu sur Terre où les mots Fraternité et Humanité ont conservé un sens.
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