Les mots sont des vaisseaux de vers, il suffit de souffler dans les voiles pour accoster sur les rivages argentés de la poésie...




Lio





Le joueur de mots

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jeudi 11 novembre 2010

Notre voyage au Sénégal: Badou



Badou

Nous voici arrivés à notre cinquième jour de voyage. La matinée s 'est étirée sans que l'on s'en rende compte. Chauffés au soleil de l'Afrique, bien calés sur les épais matelas qui recouvrent les transats, nous avons lézardé, partageant notre temps entre les pages d'un bon livre et la fraîcheur de la piscine. Le temps ici n'a pas beaucoup d'importance. La vie s'écoule paisiblement, loin du tumulte de la ville. Tout semble ralenti, calqué sur les rythmes alanguis d'un air de blues. Des oiseaux par milliers emplissent l'air chaud de leurs chants mélodieux. Certains nous surprennent, les sons qu'ils émettent évoquent à eux seuls la brousse africaine et nous emmènent pour une balade musicale et exotique. L'un d'eux passe parfois et nous régale e ses couleurs chatoyantes. Ici, la nature est exubérante et aime à se faire admirer et à se faire entendre. Soudain des éclats de voix me parviennent de la piscine toute proche. Je lève la tête. Deux enfants s'ébattent dans l'eau d'un bleu translucide, se chamaillant gentiment et éclaboussant de leurs rires cet Eden terrestre. Mon regard parcourt l'endroit. Une grande paillote au toit de paille ajourés sur les côtés faisant office de restaurant, dans le prolongement le bar longeant la piscine où sont accoudés quelques touristes à l'heure où le cocktail est de rigueur, deux bassins, des transats, le tout baignant dans le calme brûlant de la mi-journée, des palmiers, des femmes en bikini, rien ne manque à la carte postale, tout est parfait.
C'est alors que de la gauche, venant des cases qui nous servent de résidence, surgit dans mon champ de vision le vieux Badou. Difficile de lui donner un âge, tant son visage porte les marques de la dure vie sénégalaise. La soixantaine, peut-être plus, il traverse l'espace d'un pas nonchalant, portant un plateau remplis de verres à la manière d'un garçon de café. Les restes d'une soirée de fête terminée dans une case que ses occupants n'ont pas jugé bon de débarrasser. Plusieurs fois déjà nous avons discuté avec cet homme qui est l'incarnation même de la gentillesse. Deux femmes et quatorze enfants, Badou travaille au domaine depuis maintenant deux ans. Il s'occupe de faire le ménage dans un groupe de cases, le matin. Je me demande en fait qui il est vraiment. Cet homme a du connaître la colonisation, la soumission à l'homme blanc, l'humiliation peut-être...quel regard peut-il donc porter sur moi aujourd'hui, moi qui vient me prélasser sur la terre de ses ancêtres pendant que lui s'affaire chaque matin dans ma chambre ? Se peut-il que cette gentillesse cache en réalité un ressentiment latent, une rancune tenace mais domptée, qui ne se laisse pas voir, drapée sous le voile de la sympathie ? Badou résume à lui seul toute l'ambiguïté des liens que l'on tisse -que l'on semble tisser ?- avec les sénégalais. L'Histoire est là, tapie dans l'ombre, suffisamment récente pour poser son empreinte sur les rapports entre eux et nous. Badou ne vous regarde pas en face, son regard est fuyant bien qu'il respire la bonté. Il a la gentillesse encore du serviteur envers son maître: la situation est gênante, la pensée tout simplement insoutenable. Voici soudain incarné devant nous tout un pan de notre Histoire et c'est nous tout à coup qui désirons baisser les yeux.

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