Les mots sont des vaisseaux de vers, il suffit de souffler dans les voiles pour accoster sur les rivages argentés de la poésie...




Lio





Le joueur de mots

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jeudi 11 novembre 2010

Voyage au Sénégal: l'anecdote !



L'anecdote du séjour

Après deux jours d'intense émotion, nous décidons de passer une journée au domaine. Piscine-transat le matin, transat-piscine l'après-midi, beaucoup de détente en perspective. Après le déjeuner, nous partons quand-même pour une petite promenade sur la plage, le long des cases qui bordent le rivage à cet endroit. Grave erreur. Chemin faisant nous discutons et, plongés dans nos considérations sur les diverses facettes de notre voyage, nous quittons l'espace du domaine sans nous en apercevoir, et entrons de ce fait sur le territoire des businessmen locaux, toujours prêts à vous faire découvrir leur merveilleux pays, moyennant finance c'est entendu, mais ça leur fait plaisir quand-même. De fait, à peine pénétrons-nous la zone rouge de quelques mètres que trois individus - noirs qui plus est – nous hèlent en arborant leur plus beau sourire, celui des grandes occasions comme la chasse au pigeon par exemple. Aucun doute, c'est notre jour de chance, puisqu'aujourd'hui à Nianing c'est la fête du mil ! Et nous qui allions quitter le pays sans avoir assisté à cet événement de renommée mondiale, dont nous nous apercevrons très vite plus tard qu'il n'existe en fait absolument pas. Une sorte de fête virtuelle en somme, ce doit être une coutume locale ! Mais attention: n'assiste pas qui veut à ces festivités, c'est un privilège réservé à un nombre très restreint de chanceux puisque le village ne dispose que de dix charrettes, pas une de plus. Et ne pas réserver sa place, Messieurs Dames, reviendrait ni plus ni moins à se tirer une balle dans le pied en prenant le risque de passer à côté de ce qui pourrait bien être le point d'orgue de tout voyage au Sénégal. Bref, rendez-vous est pris à 16 heures l'après-midi même sur la plage, après nous être acquittés de la modique somme de cinq euros en guise d'acompte.
A l'heure dite, nos trois guides, le cheval et la charrette sont effectivement bien là à nous attendre patiemment. Après les salutations d'usage nous prenons place et vogue la galère ! Nous voilà partis pour la mythique et non moins inexistante fête du mil ! Nous longeons dans un premier temps la plage tout en devisant gaiement avec nos nouvelles connaissances. C'est ainsi que nous apprenons que nous venons de monter à bord d'un TGV (prononcez tézévé, ça fait plus local), qui est un moyen de transport tout ce qu'il y a de plus répandu au Sénégal.
Nous finissons ensuite par arriver au village de Nianing, qui borde la plage. Calme plat, mais rassurons-nous, ce n'est pas la fête du poisson mais bien celle du mil, il ne paraît donc pas totalement saugrenu de se dire qu'elle aura lieu davantage dans les terres qu'en bord de mer. L'idée ne nous effleure donc même pas de demander à Amadou, Max et Mbaye – puisque c'est ainsi que se prénomment nos compagnons - ce qu'il en est des préparatifs et de l'effervescence qu'on aurait été en droit d'attendre autour d'un événement tel que celui-ci...naïveté quand tu nous tiens ! Nous bifurquons et entrons dans le village. Très vite nous croisons la grande route qui longe l'océan et qu'il nous faut traverser pour passer de l'autre côté. Première frayeur. Amadou descend histoire de voir si le feu est vert ou rouge, comprenez pour vérifier que nous avons une chance de traverser sans nous faire ouvrir en deux par un de ces tacots qui foncent droit devant eux tels des sangliers métalliques, et dont le système de freinage ne présume en rien de nos chances de survie. Il se trouve que la voie est libre, nous nous engageons donc, non sans observer avec attention la route de part et d'autre. C'est que le code de la route est au Sénégal ce que le Kamasutra est au Vatican: un mythe ! Nous parvenons finalement sains et saufs de l'autre côté et notre périple peut donc se poursuivre.
Soudain, nous prenons conscience de notre situation. Nous sommes sur une charrette tirée par un cheval, dans un petit village sénégalais, accompagnés de trois individus que nous ne connaissons que depuis quelques heures à peine, et nous nous dirigeons tout droit vers la brousse africaine qui n'est pas à proprement parler un lieu grouillant de vie où l'on se sent rassuré par la chaleur de ses semblables. Mais enfin que voulez-vous, on a l'esprit d'aventure ou on ne l'a pas ! Il se trouve que nous ne l'avons pas, mais il est un peu tard pour invoquer un rendez-vous chez le dentiste ! Nous continuons donc tout en songeant que décidément on arrache vraiment le sac !
Cependant, le danger n'est pas toujours là où on l'attend, nous en ferons l'expérience quelque mètres plus loin. En effet, la charrette cahotait tranquillement sur le chemin lorsque tout à coup, allez savoir pourquoi, elle se mit à cahoter de manière plus brutale à la défaveur d'un trou un peu plus imposant que les autres. Et c'est ainsi que l'improbable se produisit: perdu au beau milieu d'un village africain, j'eus soudain la sensation d'être plongé au cœur d'un vieux Tex Avery. Marianne, qui s'était calée au fond de la charrette sur l'unique et inquiétant dossier, oublieuse sans doute de l'endroit où elle se trouvait, perdue dans des contemplations poétiques ayant pour thème les paysages africains, s'envola tout à coup et sans crier gare, tout en conservant la position assise qui était la sienne au moment du décollage, pour aller s'écraser lourdement quelques mètres plus loin. On arrête la charrette, chacun vient aux nouvelles; rien de cassé semble t-il et au bout de quelques instants, Marianne se relève avec la grâce d'une octogénaire au sortir d'un match de hockey sur glace, sous le regard contrit d'Amadou qui semble souffrir au moins autant qu'elle à chaque fois qu'elle met un pied devant l'autre. Les villageois, sur son passage, s'enquièrent de savoir si tout va bien, l'œil mi-inquiet mi-amusé, et c'est ainsi aujourd'hui encore, à 4500 kilomètres de chez nous, ma femme est une célébrité dans le petit village de Nianing où l'on avait encore jamais assiste à tel spectacle de cascadeurs, qui plus est présenté par une troupe ambulante !

Notre voyage au Sénégal toujours: une expérience humaine.



Une aventure humaine avant tout
Plus qu'un voyage, notre séjour au Sénégal aura été une rencontre. Rencontre avec un pays, rencontre avec un peuple. Une expérience humaine avant tout, incroyablement dense sur le plan émotionnel, et le retour à la réalité est un peu douloureux. L'impression d'avoir laissé derrière soi un chantier en cours, un chantier humain, avec tellement de choses à vivre encore, tellement de choses à faire ou à dire, que je ne peux empêcher un sentiment de frustration m'envahir. Je suis triste en fait. Ce voyage aura été une fulgurance, un rai de lumière aveuglant trop tôt éteint. J'aurais voulu poursuivre le chemin, celui de la fraternité, celui du partage. Qu'avais-je à vivre avec Amadou, Max et Mbaye ? Une histoire peut-être, peut-être rien. Cela aussi est difficile. N'avons-nous vécu durant ces quelques jours que dans l'illusion d'un rêve, n'avons-nous avancé que dans la réalité brumeuse d'une histoire tronquée dès le départ ? Aveuglés par une chaleur si intense que nous l'avons prise pour la réalité ? Peut-être n'étions nous finalement que des gens de passage, vite adoptés et vite oubliés. Cela est possible et je le sais, mais cette possibilité me coûte. Est-il concevable d'avoir vécu si intensément chaque instant de la rencontre avec l'autre sans qu'il en reste aucune trace ? Là réside la grande interrogation de ce voyage: quel degré de sincérité doit-on accorder à toute cette expérience ?
Ici, le rapport entre blanc et noir, entre riche et pauvre semble jeter un voile de suspicion constant sur tous les échanges. Le Sénégal, c'est la Terenga, la Terre d'hospitalité, et de fait ses habitants sont d'une chaleur et d'une gentillesse surprenantes. Mais on est sans cesse à se demander dans quelle mesure cet accueil n'est pas surjoué, exubérant davantage par nécessité que par générosité. On ne peut s'empêcher d'y penser, tant cette humanité et cette spontanéité dans la création du lien nous paraissent de l'ordre de l'impossible à nous autres occidentaux. Tant de gentillesse, cela cache forcément quelque chose, un intérêt. Le sourire aux lèvres, la main tendue en signe d'amitié, et aussi toujours quelque chose à proposer, à vendre. C'est certainement sur ces bases-là qu'a débuté notre relation avec nos trois guides d'un jour. Mais après ? Il est des choses que l'on sent, que l'on respire et qui entrent en nous, un lien invisible qui se tisse imperceptiblement et dont on sent si fort la présence que son existence ne semble faire aucun doute. Est-il donc possible de se tromper à ce point sur la nature de nos relations ? Et ces villageois à qui nous avons rendu visite, ces êtres d'un autre âge avec qui nous avons passé un moment si fort, ont-ils dansé avec nous uniquement en remerciement d'un sac de riz acheté à l'épicerie ? Et s'il est possible de lire dans les yeux d'une femme autant de reconnaissance en lui passant simplement autour du cou un collier aux multiples couleurs, sans que cette émotion ne porte en elle la moindre trace de sincérité, alors c'est à désespérer de tout, à commencer par l'Homme.
Non, cela n'est pas possible. Ce qui induit toutes ces questions, c'est peut-être simplement la peur d'être déçu, cette chaleur inhabituelle pour nous qui nous réchauffe mais qu'on a peur de découvrir factice. Le plus simple certainement reste encore de s'en remettre à notre perception immédiate de la vie, de faire confiance à cette sorte d'instinct qui nous pousse vers certaines personnes et nous éloigne d'autres. Ne garder en soi que la beauté de la rencontre, et le souvenir d'un peuple merveilleux, toujours prompt à vous parler de son pays, à vous le faire visiter. Et malgré cette relation d'argent inévitable et latente qui unit le touriste à l'autochtone, se souvenir qu'il est un lieu sur Terre où les mots Fraternité et Humanité ont conservé un sens.

Notre voyage au Sénégal: Badou



Badou

Nous voici arrivés à notre cinquième jour de voyage. La matinée s 'est étirée sans que l'on s'en rende compte. Chauffés au soleil de l'Afrique, bien calés sur les épais matelas qui recouvrent les transats, nous avons lézardé, partageant notre temps entre les pages d'un bon livre et la fraîcheur de la piscine. Le temps ici n'a pas beaucoup d'importance. La vie s'écoule paisiblement, loin du tumulte de la ville. Tout semble ralenti, calqué sur les rythmes alanguis d'un air de blues. Des oiseaux par milliers emplissent l'air chaud de leurs chants mélodieux. Certains nous surprennent, les sons qu'ils émettent évoquent à eux seuls la brousse africaine et nous emmènent pour une balade musicale et exotique. L'un d'eux passe parfois et nous régale e ses couleurs chatoyantes. Ici, la nature est exubérante et aime à se faire admirer et à se faire entendre. Soudain des éclats de voix me parviennent de la piscine toute proche. Je lève la tête. Deux enfants s'ébattent dans l'eau d'un bleu translucide, se chamaillant gentiment et éclaboussant de leurs rires cet Eden terrestre. Mon regard parcourt l'endroit. Une grande paillote au toit de paille ajourés sur les côtés faisant office de restaurant, dans le prolongement le bar longeant la piscine où sont accoudés quelques touristes à l'heure où le cocktail est de rigueur, deux bassins, des transats, le tout baignant dans le calme brûlant de la mi-journée, des palmiers, des femmes en bikini, rien ne manque à la carte postale, tout est parfait.
C'est alors que de la gauche, venant des cases qui nous servent de résidence, surgit dans mon champ de vision le vieux Badou. Difficile de lui donner un âge, tant son visage porte les marques de la dure vie sénégalaise. La soixantaine, peut-être plus, il traverse l'espace d'un pas nonchalant, portant un plateau remplis de verres à la manière d'un garçon de café. Les restes d'une soirée de fête terminée dans une case que ses occupants n'ont pas jugé bon de débarrasser. Plusieurs fois déjà nous avons discuté avec cet homme qui est l'incarnation même de la gentillesse. Deux femmes et quatorze enfants, Badou travaille au domaine depuis maintenant deux ans. Il s'occupe de faire le ménage dans un groupe de cases, le matin. Je me demande en fait qui il est vraiment. Cet homme a du connaître la colonisation, la soumission à l'homme blanc, l'humiliation peut-être...quel regard peut-il donc porter sur moi aujourd'hui, moi qui vient me prélasser sur la terre de ses ancêtres pendant que lui s'affaire chaque matin dans ma chambre ? Se peut-il que cette gentillesse cache en réalité un ressentiment latent, une rancune tenace mais domptée, qui ne se laisse pas voir, drapée sous le voile de la sympathie ? Badou résume à lui seul toute l'ambiguïté des liens que l'on tisse -que l'on semble tisser ?- avec les sénégalais. L'Histoire est là, tapie dans l'ombre, suffisamment récente pour poser son empreinte sur les rapports entre eux et nous. Badou ne vous regarde pas en face, son regard est fuyant bien qu'il respire la bonté. Il a la gentillesse encore du serviteur envers son maître: la situation est gênante, la pensée tout simplement insoutenable. Voici soudain incarné devant nous tout un pan de notre Histoire et c'est nous tout à coup qui désirons baisser les yeux.