L'anecdote du séjour
Après deux jours d'intense émotion, nous décidons de passer une journée au domaine. Piscine-transat le matin, transat-piscine l'après-midi, beaucoup de détente en perspective. Après le déjeuner, nous partons quand-même pour une petite promenade sur la plage, le long des cases qui bordent le rivage à cet endroit. Grave erreur. Chemin faisant nous discutons et, plongés dans nos considérations sur les diverses facettes de notre voyage, nous quittons l'espace du domaine sans nous en apercevoir, et entrons de ce fait sur le territoire des businessmen locaux, toujours prêts à vous faire découvrir leur merveilleux pays, moyennant finance c'est entendu, mais ça leur fait plaisir quand-même. De fait, à peine pénétrons-nous la zone rouge de quelques mètres que trois individus - noirs qui plus est – nous hèlent en arborant leur plus beau sourire, celui des grandes occasions comme la chasse au pigeon par exemple. Aucun doute, c'est notre jour de chance, puisqu'aujourd'hui à Nianing c'est la fête du mil ! Et nous qui allions quitter le pays sans avoir assisté à cet événement de renommée mondiale, dont nous nous apercevrons très vite plus tard qu'il n'existe en fait absolument pas. Une sorte de fête virtuelle en somme, ce doit être une coutume locale ! Mais attention: n'assiste pas qui veut à ces festivités, c'est un privilège réservé à un nombre très restreint de chanceux puisque le village ne dispose que de dix charrettes, pas une de plus. Et ne pas réserver sa place, Messieurs Dames, reviendrait ni plus ni moins à se tirer une balle dans le pied en prenant le risque de passer à côté de ce qui pourrait bien être le point d'orgue de tout voyage au Sénégal. Bref, rendez-vous est pris à 16 heures l'après-midi même sur la plage, après nous être acquittés de la modique somme de cinq euros en guise d'acompte.
A l'heure dite, nos trois guides, le cheval et la charrette sont effectivement bien là à nous attendre patiemment. Après les salutations d'usage nous prenons place et vogue la galère ! Nous voilà partis pour la mythique et non moins inexistante fête du mil ! Nous longeons dans un premier temps la plage tout en devisant gaiement avec nos nouvelles connaissances. C'est ainsi que nous apprenons que nous venons de monter à bord d'un TGV (prononcez tézévé, ça fait plus local), qui est un moyen de transport tout ce qu'il y a de plus répandu au Sénégal.
Nous finissons ensuite par arriver au village de Nianing, qui borde la plage. Calme plat, mais rassurons-nous, ce n'est pas la fête du poisson mais bien celle du mil, il ne paraît donc pas totalement saugrenu de se dire qu'elle aura lieu davantage dans les terres qu'en bord de mer. L'idée ne nous effleure donc même pas de demander à Amadou, Max et Mbaye – puisque c'est ainsi que se prénomment nos compagnons - ce qu'il en est des préparatifs et de l'effervescence qu'on aurait été en droit d'attendre autour d'un événement tel que celui-ci...naïveté quand tu nous tiens ! Nous bifurquons et entrons dans le village. Très vite nous croisons la grande route qui longe l'océan et qu'il nous faut traverser pour passer de l'autre côté. Première frayeur. Amadou descend histoire de voir si le feu est vert ou rouge, comprenez pour vérifier que nous avons une chance de traverser sans nous faire ouvrir en deux par un de ces tacots qui foncent droit devant eux tels des sangliers métalliques, et dont le système de freinage ne présume en rien de nos chances de survie. Il se trouve que la voie est libre, nous nous engageons donc, non sans observer avec attention la route de part et d'autre. C'est que le code de la route est au Sénégal ce que le Kamasutra est au Vatican: un mythe ! Nous parvenons finalement sains et saufs de l'autre côté et notre périple peut donc se poursuivre.
Soudain, nous prenons conscience de notre situation. Nous sommes sur une charrette tirée par un cheval, dans un petit village sénégalais, accompagnés de trois individus que nous ne connaissons que depuis quelques heures à peine, et nous nous dirigeons tout droit vers la brousse africaine qui n'est pas à proprement parler un lieu grouillant de vie où l'on se sent rassuré par la chaleur de ses semblables. Mais enfin que voulez-vous, on a l'esprit d'aventure ou on ne l'a pas ! Il se trouve que nous ne l'avons pas, mais il est un peu tard pour invoquer un rendez-vous chez le dentiste ! Nous continuons donc tout en songeant que décidément on arrache vraiment le sac !
Cependant, le danger n'est pas toujours là où on l'attend, nous en ferons l'expérience quelque mètres plus loin. En effet, la charrette cahotait tranquillement sur le chemin lorsque tout à coup, allez savoir pourquoi, elle se mit à cahoter de manière plus brutale à la défaveur d'un trou un peu plus imposant que les autres. Et c'est ainsi que l'improbable se produisit: perdu au beau milieu d'un village africain, j'eus soudain la sensation d'être plongé au cœur d'un vieux Tex Avery. Marianne, qui s'était calée au fond de la charrette sur l'unique et inquiétant dossier, oublieuse sans doute de l'endroit où elle se trouvait, perdue dans des contemplations poétiques ayant pour thème les paysages africains, s'envola tout à coup et sans crier gare, tout en conservant la position assise qui était la sienne au moment du décollage, pour aller s'écraser lourdement quelques mètres plus loin. On arrête la charrette, chacun vient aux nouvelles; rien de cassé semble t-il et au bout de quelques instants, Marianne se relève avec la grâce d'une octogénaire au sortir d'un match de hockey sur glace, sous le regard contrit d'Amadou qui semble souffrir au moins autant qu'elle à chaque fois qu'elle met un pied devant l'autre. Les villageois, sur son passage, s'enquièrent de savoir si tout va bien, l'œil mi-inquiet mi-amusé, et c'est ainsi aujourd'hui encore, à 4500 kilomètres de chez nous, ma femme est une célébrité dans le petit village de Nianing où l'on avait encore jamais assiste à tel spectacle de cascadeurs, qui plus est présenté par une troupe ambulante !